On Polixeni Papapetrou
“Photographier n’est pas prendre le monde pour objet, mais le faire devenir objet, exhumer son altérité enfouie sous sa prétendue réalité, le faire surgir comme attracteur étrange et fixer cette attraction étrange dans une image.”
Jean BAUDRILLARD, Car l’illusion ne s’oppose pas à la réalité…,
Descartes & Cie, Paris, 1998
C’est en découvrant un ouvrage de la photographe américaine Diane Arbus que Polixeni Papapetrou a ressenti sa première grande émotion en photographie. élève de Lizette Model, Diane Arbus dressa un portrait troublant de l’Amérique des années 60 en photographiant notamment les personnages hors-normes, les handicapés mentaux, les jumeaux, les travestis, les personnes de petite taille. Sans parler d’influence directe, l’oeuvre de l’artiste américaine constitue une source d’inspiration majeure dans le propre travail de Polixeni.
Polixeni Papapetrou est une artiste australienne, née et habitant à Melbourne. évoquer sa nationalité est une donnée importante car son travail s’inspire de la nature, très présente sur ce continent, dans sa dimension énigmatique mais il s’inspire aussi de faits historiques ayant marqué la population australienne. Toutes ses photographies racontent une histoire en faisant directement référence à un événement précis.
Inspirée par l’enfance et par sa propre enfance, elle nous entraîne dans un monde poétique, surréaliste et onirique où les références à l’histoire de l’art et de la photographie sont une source d’inspiration constante et où l’influence de la littérature avec notamment le roman d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, conforte son propos sur l’enfance.
Dans la série sur les enfants perdus intitulée Haunted Country, réalisée en 2006, elle se réapproprie les codes de l’iconographie de peintres australiens à l’instar de Tom Roberts, Fred McCubbin et Hans Heysen pour faire référence précisément à l’histoire tragique des enfants disparus du Bush au XIXe siècle. Réelle ou bien fantasmée, l’illustration de ses enfants perdus dans un milieu hostile et inhospitalier a fortement marqué les esprits de plusieurs générations d’Australiens. Avec cette série, l’artiste entame un travail centré sur la peur, l’angoisse de la disparition et de l’abandon. Elle s’interroge ici sur la manière dont les enfants peuvent évoluer naturellement dans une nature hostile tout en étant dépendant de l’adulte.
Polixeni apporte un soin particulier au vêtement qui donne des indications précises sur les repères historiques des évènements. Réalisées pour la plupart du côté de Victoria, les images de la série Haunted Country mettent en avant l’aspect psychologique tout autant que l’aspect physique de l’angoisse. The Wimmera raconte ainsi l’incroyable disparition de trois enfants en 1864 qui furent retrouvés vivant au bout de neuf jours. Dans ce travail, elle évoque la notion de survie. Ici les enfants semblent occupés par la récolte de broussailles pour la construction d’une cabane afin de se reposer. Cabane que l’on découvre dans l’image de Daylesford≠2 ou trois garçons disparus en 1867 sont endormis. Whroo évoque l’attente, le questionnement et finalement l’angoisse devant l’inconnu. La trace du chemin de retour n’est plus visible. Tête baissée, chaque enfant semble affecté par la situation. Ils sont tétanisés par la perspective de leur incapacité à retrouver leur maison.
Dans la série Games of Consequences de 2008, les références à l’histoire de l’art sont moins présentes. Ici il est véritablement question du thème de l’enfance, du jeu, de la solitude et de l’ennui. Si là encore les scènes se situent toujours à l’extérieur dans une nature très présente, le dispositif photographique de Polixeni est maîtrisé. Une mise à profit de la lumière ambiante complétée par un recours au flash et une prise de vue sur négatif couleur faite au moyen d’une chambre photographique complète le mode opératoire de la photographe. Elle accentue l’étrangeté de la nature. Les ombres portées qui en résultent donnent une force supplémentaire à chaque image. La petite fille qui marche d’un pas décidé avec sa corde à sauter, avec en deuxième plan une rivière noire inquiétante, illustre là encore la tension qui sous-tend dans ses images. La scène des deux jeunes filles dont l’une d’entre elles se retrouve attachée à un arbre figure toute l’ambiguté et la cruauté des jeux d’enfants. L’évocation du thème de l’exclusion dans The Fall, où deux jeunes filles semblent repousser une troisième de leurs jeux, illustre la violence des relations souvent conflictuelles du trio.
L’enfance, l’adolescence, le passage entre le monde de l’enfance à celui des adultes est au cœur des photographies de Polixeni Papapetrou. Elle nous rappelle ainsi que les enfants et les adultes ne vivent pas dans les mêmes mondes imaginaires. Si l’artiste a d’abord découvert l’œuvre photographique de Lewis Carroll avant la lecture d’Alice au Pays des merveilles, elle a trouvé dans le personnage d’Alice beaucoup de similitudes avec sa propre histoire.
Comme Alice, nous pénétrons dans l’univers de Polixeni comme dans un autre espace ; nous n’y trouvons pas d’idées abstraites, pas de morale ennuyeuse, mais un univers poétique où une lectrice porte un masque d’ours avec un uniforme d’écolière, où des pingouins s’agitent et discutent comme des Ambassadeurs suivant leur propre logique. Un monde qui ressemble à celui du rêve. Dans la série Between Worlds réalisée en 2009, nous basculons dans cet autre espace, où les enfants portent des masques en récréant des situations cocasses et absurdes liées à la magie du théâtre comme dans l’image des Players où la révérence et le salut des jeunes filles figurent les jeux enfantins du on dirait que tu serais un roi et moi une reine.
L’utilisation du masque dans toutes les images de la série Between Worlds prend ici une dimension onirique dans le sens où l’artiste aborde la question de l’identité. Enfants ou adultes ? Qui se cachent derrière ses têtes d’animaux ? Nous ne le savons pas et peu importe finalement. Ralph Eugene Meatyard, qui utilisait les membres de sa famille dans son travail, et Diane Arbus ont directement influencé Polixeni dans leurs travaux où les personnages portent des masques.
Contrairement à l’approche sérielle et systématique de la photographe hollandaise Rineke Dijkstra qui s’est fait connaître avec ses portraits d’adolescents à la plage et dont l’œuvre s’inscrit dans une approche documentaire, Polixeni Papapetrou travaille sous forme de séquences avec des enfants et des adolescents qui lui sont proches. L’œuvre de Polixeni Papapetrou s’inscrit dans une photographie narrative poétique où ses mises en scènes très construites, liées à sa propre enfance, renvoient à un univers onirique et figurent toute la théâtralité de la vie.
Béatrice Andrieux est commissaire indépendante et rédactrice à Connaissance des arts PHOTO
Jeudi 6 Mai, 2010